Une analyse rigoureuse des dynamiques sociopolitiques haïtiennes nécessite un retour sur les us et coutumes qui ont structuré les comportements individuels et collectifs depuis 1804. Les rapports complexes entre les Créoles (Affranchis) et les Bossales, hérités de l’ordre colonial, ont profondément marqué les logiques de gestion politique, économique et sociale de la nouvelle nation. Ces clivages originels ont façonné des pratiques de pouvoir souvent antagonistes, où la quête de domination, la lutte factionnelle et l’absence de vision commune ont constitué des constantes.
Dès la fondation de l’État, l’absence d’un consensus national autour d’un projet sociétal unifié a ouvert la voie à des ambitions particularistes — chak gwoup te genyen ti anbisyon pa yo. Les premières décennies postindépendance ont été caractérisées par des oscillations entre projets monarchiques et républicains, révélant une instabilité institutionnelle profonde. Ces divergences ont mené aux premiers assassinats politiques et ont consolidé un modèle de gouvernance fondé sur la rivalité, la centralisation autoritaire et la personnalisation du pouvoir.
Cette structure conflictuelle, dépourvue d’une culture de gestion, d’investissement et de continuité administrative, explique en partie l’ascension progressive d’une classe économique issue de descendants d’étrangers dont les ancêtres avaient fui la guerre, la précarité ou les bouleversements géopolitiques. Une question s’impose alors : quelle culture, quelles pratiques économiques et quelles représentations sociales ces groupes ont-ils importées et consolidées sur le territoire haïtien ?
Cette interrogation doit s’accompagner d’un examen introspectif. Durant plus de soixante ans, de vastes mouvements migratoires haïtiens se sont succédé, mais peu de ressortissants ont réussi à établir une influence économique dominante dans les pays d’accueil. Au contraire, certains se retrouvent marginalisés ou impliqués dans des activités préjudiciables, révélant des difficultés d’intégration structurelles et culturelles. Il convient donc d’examiner la nature de la culture que nous exportons : une culture de résilience passive, parfois de soumission, plutôt que de conquête et de construction économique durable ?
Parallèlement, la concentration du pouvoir économique entre les mains de descendants d’autres groupes ethniques ou culturels — parfois devenus puissants, riches, et dans certains cas liés à des pratiques illicites — met en lumière deux réalités fondamentales :
- La faiblesse chronique des institutions régaliennes,
- Le non-respect systématique des lois par une large partie de la population, y compris les élites nationales.
Ces dysfonctionnements institutionnels et comportementaux soulèvent inévitablement la question de la responsabilité collective. À qui attribuer ces défaillances structurelles sinon à une combinaison de pratiques héritées, de choix politiques erronés et d’une culture nationale trop souvent marquée par la recherche d’excuses plutôt que par l’autoévaluation critique?
En définitive, l’enjeu majeur demeure la capacité des Haïtiens à réexaminer les fondements culturels, historiques et institutionnels de leur société afin de reconstruire un projet national fondé sur la rigueur, la responsabilité et l’intérêt collectif.
Reynald Orival, ing/ Citoyen haïtien et caribéen engagé.